Extrait du discours de Mme Claire Verly
prononcé lors de la remise des prix du Concours de latin Iuvenalia, le 22 mai 2024
Il y a quelques mois, un article du Soir expliquait la disparition du cours de grec de la majorité des écoles justement à cause de ce niveau de difficulté. Dans une interview de Marc de Burgaff, le Professeur Marc Romainville déclarait, je cite, « apprendre le grec est long et complexe. On estime, à tort ou à raison, que les bénéfices ne valent pas la chandelle et peuvent être obtenus via d’autres voies. On peut notamment faire de l’analyse rigoureuse de textes sur des textes... en français et on peut enseigner les premiers philosophes grecs et la naissance de la démocratie à Athènes sans devoir traduire les textes qui s’y rapportent. » La réflexion concerne ici le grec mais elle vaut tout aussi bien pour le cours de latin : on pourrait se contenter de lire une traduction de Cicéron plutôt que de s’acharner à le retraduire encore et encore. Pourquoi donc imposer à nos élèves l’exercice de la version latine alors que des centaines de traductions existent déjà ?
Selon moi pourtant, il est plus que jamais nécessaire de pouvoir lire le texte dans sa version originale.
Il y a une semaine j’étais à Londres avec mes quatrième pour visiter le British Museum. La première pièce que l’on voit en y entrant c’est la pierre de Rosette que tout le monde connaît. C’est un peu comme la Joconde à Paris, les touristes sont amassés devant et tout le monde est prêt à écraser son voisin pour pouvoir arriver jusqu’à la vitrine qui l’abrite. Si les visiteurs du musée se bousculent pour apercevoir ce morceau de caillou c’est parce qu’il revêt une importance capitale dans l’Histoire mondiale : grâce à lui, nous sommes parvenus à déchiffrer les hiéroglyphes. La pierre, découverte en Egypte présente trois fois le même texte dans trois écritures différentes : les hiéroglyphes égyptiens, le démotique et le grec. C’est le célèbre Champollion, qui, en se basant sur la traduction du grec et par un jeu de comparaison avec d’autres sources, parvient à les déchiffrer. Jusqu’à ce moment, la connaissance de cette écriture était totalement perdue et la civilisation égyptienne restait un mystère total. Grâce à la découverte de Champollion, on a donc récupéré un pan important de l’histoire mondiale. Que serait-il arrivé si personne à l’époque ne savait plus lire le grec ancien ? La réponse est évidente : nous ignorerions la majeure partie du fonctionnement de l’Egypte antique. On aurait l’intelligence artificielle mais nous serions incapables de comprendre nos racines. Nous sommes les dépositaires de ces savoirs millénaires qu’il importe de ne pas perdre pour assurer la bonne compréhension de notre monde.