MONTREZ CE SEIN QUE JE SAURAIS VOIR !
COMPTE RENDU DE NOTRE ASSEMBLEE GENERALE
Du plat de la main, nous effaçâmes la buée recouvrant le miroir de notre salle de bain. Nous contemplâmes quelques instants notre visage rougi par la douche. La lumière blafarde du néon accentuait sa plus infime imperfection. Étions-nous beaux ? La question existentielle flotta dans l’air humide. Socrate nous aurait-il couru après, dans les allées du gymnase ? Ovide aurait-il songé à nous en rédigeant son Art d’aimer ? Aurions-nous fait frémir Saint Augustin ? Et au fond, qu’est-ce que la beauté ? Il nous fallait trouver des réponses à ces interrogations, combler ces blancs esthétiques. Nous embarquâmes dans la voiture de notre meilleure amie et en ce samedi 28 janvier 2017, nous fonçâmes au Musée gallo-romain de Tongres. Non sans but : c’était l’Assemblée générale de notre association. Nous allions discuter beauté intérieure, avenir et gros sous, avant de confronter beauté extérieure antique et contemporaine.
Lorsque nous débarquâmes dans la fière cité des Éburons, ses habitants s’éveillaient à peine. Le silence planait sur ses rues et l’esplanade du musée était déserte. Nous nous attendîmes les uns les autres dans le restaurant adjacent. Le dernier inscrit arrivé, nous nous retirâmes dans une salle réservée. C’était l’heure de notre assemblée proprement dite, l’heure des bilans et des comptes. Notre présidente prit la parole la première pour le rapport d’activités annuel. Encore une fois, notre association a mené à bien ses objectifs et porté au pinacle l’enseignement des langues anciennes. Vous connaissez par le menu nos activités et nos projets, rappelons-les tout de même : la Foire aux Préparations, déjà à sa deuxième édition ; la Matinée Hellénique, à sa vingt-quatrième ; les Quaestiones Naturales, à sa troisième ; le concours des Iuvenalia, à sa trentième ; le festival Artes, à sa sixième. Quant à notre participation au concours d’Arpino, elle connut cette année une apothéose, puisque pour la première fois, un élève belge est monté sur le podium.
La parole fut ensuite donnée à notre trésorière pour son rapport des comptes tout aussi annuel. Vous serez heureux d’apprendre que les comptes de notre association sont en ordre et le budget, en équilibre. Le nombre de cotisations reçues demeure stable. Grâce à ce budget sain, notre association financera sans heurt ses activités pour l’année 2017. Sur ces bonnes nouvelles, nous passâmes aux votes requis. À l’unanimité des membres présents, l’actuel conseil d’administration de notre association fut reconduit dans ses fonctions, pour une période de deux ans. En revanche, le vote concernant le changement de notre siège social dut être ajourné, faute d’un quorum suffisant. Une nouvelle assemblée générale sera convoquée dans les prochaines semaines.
La parole retourna alors à notre présidente, pour un débat douloureux et nécessaire sur la réforme dite du « Pacte d’Excellence ». Notre présidente et la présidente de notre association-sœur, la FRPLG, Madame Fabienne Paternotte, professeur de langues anciennes à l'Athénée Robert Catteau, ont multiplié les initiatives, les courriers, les rencontres, les débats, afin de défendre la place du latin dans le tronc commun. Elles ont rencontré la ministre de l’enseignement obligatoire, les responsables des groupes de travail, véritables maîtres d’œuvres de la réforme, les représentants de l’administration, les délégués du SEGEC et un nombre considérable de professeurs de langues anciennes. Ces actions ont eu peu d’effets. Les seules répercussions l’ont été sur les réseaux sociaux, au grand dam de notre présidente. Des discussions confidentielles ont été exposées sur la place publique. Le débat s’en est envenimé. Ces démarches nécessaires ont été payées d’une amère monnaie, puisqu’entretemps, le couperet est tombé sur les langues anciennes : à moins d’un miracle, elles disparaitront de l’enseignement belge francophone, à l’horizon 2030.
Nous ne le savions pas alors et conservions encore l’espoir au fond de nos boîtes personnelles. Nous nous levâmes et rejoignîmes l’entrée du musée. C’était l’heure de visiter l’exposition temporaire Timeless Beauty. Bientôt, la beauté n’aurait pour nous plus de secret. Nous enfilâmes notre oreillette et entendîmes la respiration de notre guide : nous étions branchés. Timeless Beauty repose sur un principe bien connu : la beauté et ses critères sont relatifs. Ils varient selon les époques, les civilisations, les normes sociales, culturelles et économiques. Nos mannequins actuels feraient horreur aux Chinois d’époque impériale. De même, les beautés hottentotes d’Afrique précoloniale suscitent notre malaise. L’exposition joue sur ce ressort. Elle expose au sens premier la notion romaine de beauté féminine. La première partie rassemble des statues, des bustes, des têtes antiques. Vous y verrez transparaître l’idéal féminin des Romains, aux travers des déesses et des jeunes femmes. Ici, une copie de la Vénus de Milo ; là, un portrait du Fayoum ; là encore, un buste sans tête, anonyme. Ensuite, vous parcourez un ensemble de vitrines. Chacune rassemble des objets archéologiques identiques, dédiés aux soins du corps, à la parure et au décorum physique. Ici, des bijoux en or et en argent, des camées, des intailles, des broches, des bracelets et des colliers ; là, des flacons à parfum en verre, des boîtes à onguents, des coffrets de maquillage, des miroirs ; là encore, des postiches, des peignes, des épingles à cheveux. Partout, des vidéos didactiques reconstituent les mille et uns apprêts de toilette des Romaines. La coiffure, le drapé, le maquillage tiennent autant de l’art que de l’architecture. Le résultat est artificiel au possible, voire artificieux. Il rappelle terriblement nos pratiques contemporaines et pourtant les idéaux de beauté sont à l’opposé des nôtres.
Cette exposition transcende cependant son statut de présentation historique, en mêlant deux autres éléments, l’un de facture littéraire, l’autre relevant de l’art contemporain. Voilà qui est remarquable à bien des égards : décloisonner art, archéologie, histoire, histoire de l’art et littérature pour les fondre en un produit supérieur, susceptible de toucher le plus grand nombre. Ainsi, sont disposées dans le moindre recoin, au sol, dans les cimaises, au détour d’une allée, des citations classiques. Elles sont retranscrites en version originale, comme gravées dans le marbre. Tibulle, Properce, Ovide, Apulée, mais aussi des anonymes, des graffitis, des épitaphes, décrivant des beautés mortes, des amours oubliées, des passages célèbres ou inconnus, bref, une étonnante et admirable compilation qui interpelle le visiteur, le laisse songeur, rieur ou ému. Chaque citation est traduite en français, néerlandais et anglais. La pensée des antiques demeure ainsi accessible à chacun.
Le dispositif se complète d’œuvres grandeur nature du photographe belge Marc Lachapelle. Des nus féminins audacieux, glamour, hommages à la femme, à son corps, à son mystère, à son éternité. Des nus de femmes de tous âges, de toutes origines, de toutes religions ; des nus qui en montrent trop ou pas assez ; des nus qui heurtent, des nus qui ravissent, des nus qui interpellent. Des nus, enfin, qui rendent hommage au photographe, décédé trop tôt, emporté au beau milieu des préparatifs de cette exposition, qui lui est dédiée. Le parcours du visiteur se conclut d’ailleurs sur un portrait noir et blanc de l’artiste et sur un dispositif vidéo intelligent. Une douzaine de femmes contemporaines, ni mannequins, ni célébrités, exposent face caméra, leur conception de la beauté, les impératifs catégoriques auxquels elles ont été confrontées, les liens particuliers qu’elles entretiennent avec leur corps, leur image de soi, leur sexualité et leur place dans la société. Une adolescente, une mère de famille, une retraitée, une lesbienne, une immigrée, un panel représentatif de notre société et ce constat commun : les femmes doivent se réapproprier leur beauté et ne pas se laisser dicter leur apparence.
Nous remerciâmes notre guide, rendîmes nos oreillettes et revînmes au restaurant pour la conclusion de cette journée : un repas commun. Nous étions douze à table, entre poulet et poisson. Le service fut remarquable et la chair délicieuse. Ah, si nous avions su qu’il s’agissait d’une Dernière Cène… Vous nous direz : il faut savoir mourir pour mieux ressusciter. Mais que la crucifixion est douloureuse… Après le café, nous nous séparâmes. Le soleil brillait sur Tongres, c’était pourtant le crépuscule des langues anciennes, le début d’un monde sans beauté. Nous retournâmes dans notre salle de bains, sous le néon. L’évidence nous apparut : notre beauté physique n’était que momentanée, passagère, finie bientôt. Seule notre beauté morale et intellectuelle perdurera, peut-être nous survivra. Nous la devons entièrement au latin et au grec ancien, aux auteurs antiques, à leurs œuvres éternelles et leurs pensées qui ont traversé les siècles. Ils ont cette chance d’être épargnés par la laideur de notre époque, qu’ils vivent éternellement beaux.
Naïm HERAGHI
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