Compte-rendu des assemblées générales annuelles conjointes de l’ACFLA et la FRPGL
Ce samedi 17 mars, l’ACFLA et la FRPGL organisaient conjointement leurs assemblées générales pour la première fois. Cette démarche avait deux visées : réunir davantage d’amis de l’enseignement des langues anciennes autour d’invités de premier plan en ce qui concerne l’actualité de l’enseignement des langues anciennes en Belgique et ailleurs, et montrer l’unité des professeurs de latin et de grec dans une période où une énième réforme ministérielle attaque, une fois de plus, les disciplines que nous chérissons.
La FRPGL ayant pour habitude d’organiser son assemblée générale dans l’une des trois universités représentées en son sein, nous avons été reçus, cette année, par l’université de Liège. M. Paul Pietquin, professeur de didactique des langues anciennes de l’ULG, avait mis les petits plats dans les grands pour accueillir les associations de professeurs, démontrant ainsi, s’il le fallait encore, à quel point Liège n’a rien à envier aux autres universités. Les conférences qui suivaient les assemblées générales ont ainsi eu lieu dans la salle académique, récemment rénovée et flamboyante dans son style néo-classique. Le lieu valait à lui tout seul le déplacement.
Les deux associations se sont d’abord réunies chacune de leur côté pour effectuer les tâches habituelles de toute assemblée générale (élections, rapport d’activités, approbation des comptes etc.). Les participants se sont ensuite regroupés dans la salle académique. Mme Fabienne Paternotte, présidente de la FRPGL a ouvert la séance en rappelant les enjeux du latin au sein du Pacte d’excellence. J’ai ensuite pris la parole pour rappeler l’importance d’associations telles que les nôtres pour assurer une représentativité et une visibilité des professeurs de langues anciennes auprès de nos autorités et l’importance de notre implication en leur sein, particulièrement en ce moment de remise en question de notre système scolaire et des cours que nous donnons. Les participants ont ensuite pu assister à une conférence à trois voix, intitulée « Les langues anciennes aujourd’hui...et demain ? ».
Le premier à prendre la parole fut M. Philippe Cibois, professeur émérite de sociologie de l’université de Versailles-St-Quentin en Yvelines et animateur du carnet de recherche La question du latin 1. Intitulée « passé, présent et avenir du débat social sur la distinction dans la question du latin », sa conférence retraçait brièvement l’histoire de la perception sociale de l’enseignement du latin en partant du Moyen-Âge jusqu’à notre époque. Ainsi, si l’étude du latin est considérée comme le principal vecteur de promotion sociale jusqu’à la fin de l’ancien régime, principale raison de la réputation d’élitisme liée à son apprentissage, on voit apparaître dès le 19e siècle le personnage de l’ « étudiant chômeur », comme en témoigne l’oeuvre de RAOUL FRARY, La question du latin ou encore celle de JULES VALLES, qui, dédie Le Bachelier : « à ceux qui nourris de grec et de latin sont morts de faim » dans une citation élégante qui a fait rire la salle. Dans la première partie du 20e siècle, la création en France de la filière moderne amène une opposition à la filière dite « classique » qui comprend l’étude du latin et du grec. À partir de 1970, avec la démocratisation massive de l’enseignement, le latin devient une option à partir de la 5e année du collège. On peut dès lors observer une chute libre du nombre d’élèves passant un BAC littéraire et ce sont les sciences qui vont progressivement devenir vecteur d’élitisme. Le cours de latin reste pourtant, selon les termes de Bourdieu, une arme d’évitement social (on inscrit un enfant dans l’option latine pour qu’il soit avec les meilleurs). Pour le célèbre sociologue, la culture maintient la domination de classe ; il voit donc le latin comme un « gaspillage ostentatoire d’apprentissages » (La Reproduction). En réponse, Paul Veyne soutient que la culture ne se limite pas à une barrière sociale mais qu’elle est également un vecteur important de fierté personnelle et de la constitution du sujet humain. Pour répondre à la question du prétendu élitisme du latin et de son efficacité en termes d’apprentissage, Philippe Cibois a réuni et étudié un panel d’élèves et une quantité impressionnante de données pour aboutir aux conclusions suivantes, graphiques à l’appui. Sur le panel d’élèves étudié, on voit que les élèves qui suivent le cours de latin réussissent mieux que les autres, peu importe la catégorie sociale dont ils sont issus. Philippe Cibois explique cela par le fait que le cours de latin ne regroupe non pas les meilleurs élèves mais ceux qui désirent être les meilleurs parce qu’ils souhaitent investir dans la culture selon l’idée de Paul Veyne. Par conséquent, la pratique du latin est rendue indispensable pour comprendre la société dans laquelle nous vivons et il plaide donc pour un cours de latin pour TOUS les élèves, mais pour débloquer le débat social, il faut, selon lui, commencer par enseigner au minimum « le latin du français », c’est-à-dire l’ensemble des mots et expressions conservés tels quels dans notre langue. Ainsi, quand 100 % des élèves auront fait du latin, la distinction du latin et l’auto-dévaluation de ceux qui n’en ont pas fait, disparaîtront.
Augustin D’Humières a ensuite pris la parole. Ce professeur de langues anciennes dans un lycée de la banlieue parisienne et auteur de deux livres publiés chez Grasset (Homère et Shakespeare en banlieue et Un petit fonctionnaire) est connu pour ses activités de promotion du latin et du grec au sein de l’association qu’il a fondée « Mêtis », et pour ses prises de positions à contre-courant de l’idéologie pédagogique en vogue en France. Il est venu nous faire part de son expérience du terrain suite aux dernières réformes que connait l’enseignement français et l’appauvrissement des cours de langues anciennes qui s’en est suivi. Les deux causes principales sont, selon lui, la suppression du CAPES de lettres classiques en 2012 et la réforme du collège avec l’idée du « latin pour tous ». Il a lui aussi rappelé les accusations d’élitisme et de « ringardise » qui pèse sur nos disciplines en insistant sur le fait que paradoxalement, plus on tend vers une suppression du cours de latin au fil des décennies, plus l’école est inégalitaire. Le latin a pourtant un rôle important à jouer en tant que vecteur de transmission d’une identité commune et de cohésion sociale. Pour lui, la seule réponse face à cela, c’est le travail de terrain. Il soulève un autre point dans la question de la démocratisation de l’enseignement, qui est celui du niveau réel qu’ont les élèves en sortant du secondaire. Pour lui, l’enseignement du latin et du grec sont donc nécessaires dans notre société moderne car ces langues permettent un « détour » qui facilite le traitement de questions épineuses avec certaines catégories d’élèves, comme par exemple celle de la religion : étudier les moeurs des Romains pour aborder plus facilement de grandes questions actuelles. Le grec et le latin sont à ses yeux des armes de première importance pour concourir à lutter contre les inégalités.
Enfin, Christian Laes, professeur émérite d’histoire ancienne et de latin à l’Université d’Anvers a dressé le tableau de la situation de l’enseignement du latin et du grec en Flandre, malheureusement souvent méconnu de notre côté de la frontière linguistique.
L’enseignement secondaire y est organisé par cinq « coupoles » :
• GO ! onderwijs (l’enseignement organisé par la Communauté flamande) et qui représente 19,2 % des élèves.
• OVS (l’enseignement communal) et POV (l’enseignement provincial), 7,5 % des élèves
• Katholiek onderwijs Vlaanderen (KOV), 72,3% des élèves
• OKO (autres), 1 % des élèves
En ce qui concerne les langues classiques,
• 9445 élèves suivent un cours de latin en 2e année soit 83 % des élèves dans l’enseignement catholique.
• 1700 élèves dans l’enseignement de la Communauté flamande, soit 15 %.
• 181 élèves dans l’enseignement communal et provincial, soit 2,5 %.
Au premier degré de l’enseignement secondaire, les élèves suivent 32 heures de cours par semaine, avec un tronc commun de 27h et 5h d’activités. Il n’y a donc pas officiellement d’option latine dès le premier degré. En témoigne l’absence de programme en 1e et 2e années et de socles de compétences pour nos disciplines. Pour les autres années, il existe trois programmes différents celui de GO ! onderwijs, du KOV et de l’OVS qui différent dans leurs méthodes d’apprentissage :
• lecture directe (GO) ou graduelle (KOV) des textes latins.
• accès direct (GO) ou retardé (4e secondaire KOV) aux textes anciens.
• lecture des textes par thème (GO) ou par auteur (KOV).
• grammaire valence, c’est-à-dire centrée autour du verbe (KOV) ou fonctionnelle, c’est-à-dire qui implique rapidement la lecture de textes (GO).
Dans tous les cas, les élèves doivent voir 6 genres obligatoires et deux auteurs (Virgile et Tacite) et suivent en moyenne 5 heures de latin/semaine pour les options latines et 4 heures de latin + 3 heures de grec pour l’option latin-grec. Au niveau pédagogique, la méthode d’Hans Ørberg qui prône l’incorporation contextuelle, connait un succès important 2 tout comme les académies qui proposent des séminaires de grec et latin actifs 3.
Aux yeux de Christian Laes, la plus grande menace pour le cours de latin n’est pas comme, du côté francophone, une éventuelle réforme mais bien les STEM (sciences, technology, engineering and mathematics) dont l’enseignement peut occuper les 5 heures d’activités complémentaires au 1e degré et donc concurrencer dangereusement le cours de latin 4. C’est d’ailleurs selon lui, la cause d’une diminution importante de la fréquentation des cours de latin entre 2013 et 2017 (1000 élèves en moins).
Après ces conférences, les participants ont pu profiter d’un apéritif offert et concocté par les deux associations dans le patio de l’université afin de continuer les discussions passionnantes entamées lors de la séance de questions-réponses. Pour ceux qui le voulaient enfin, un repas avait pu être réservé dans un restaurant grec proche de l’Université.
D’après les échos déjà reçus de cette journée, que ce soit de la part des conférenciers ou de professeurs participants, la journée a pleinement rempli sa mission : nous permettre de nous rencontrer, d’échanger et d’élargir notre point de vue et notre connaissance de l’enseignement du latin grâce à trois conférenciers dont les approches étaient totalement différentes mais toutes extrêmement instructives et enrichissantes dans une ambiance chaleureuse et amicale. Cette première collaboration entre l’ACFLA et la FRPGL fut donc pleinement fructueuse. Gageons que ce ne sera que la première d’une longue série .
Claire Verly
1 https://enseignement-latin.hypotheses.org/author/latin?lang=fr
2 H. Ørberg, Lingua latina per se illustrata, Copenhague, 1990, et disponible sur le web en format PDF :
https://chaharrah.tv/chaharrah-depot/arthouse/latin-attachments/latin-book.pdf.
3 www.vivariumnovum.it et www.addisco.nl
4 Chr. LAES, « Waarom STEM het nieuwe latijn niet is », Prora 21, 4 (2016), p. 14-17.